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  • Writer's pictureRiver Champeimont

Trois siècles de science économique

Updated: Dec 1, 2020

Comment gérer les crises économiques ? La réponse des économistes à travers les siècles, présentée de manière simplifiée.



Les premiers économistes

Avant le 18ème siècle, c’est la préhistoire économique. Il n’y a pas à proprement parler d’économistes. Les gouvernements appliquent bien souvent à l’époque des recettes économiques naïves, tel que : “Si j’empêche la population d’acheter des biens à l’extérieur du pays, il y aura plus d’or à l’intérieur du pays et on sera plus riches !”.


Mais les économistes vont arriver et changer tout ça. Un des célèbres pionniers de la science économique est Adam Smith. En étudiant minutieusement le fonctionnement de l’économie, il va se rendre compte que beaucoup de choses fonctionnent bien, et même mieux, sans que le gouvernement s’en mêle, simplement par l’interaction volontaire des individus.


Beaucoup d’économistes vont suivre cette voie et leur recommandation va généralement être qu’il vaut mieux “laisser faire” que de tenter de diriger l’économie. Par exemple, il ne faut pas tenter de réglementer les prix, car cela empêcherait le fonctionnement correcte de la loi de l’offre et de la demande. Pour que la population s’enrichisse et que ses conditions de vie s’améliorent, il faut laisser faire l’économie. On appelle aujourd’hui ces idées le libéralisme classique et ces économistes “les classiques”. A l’époque, leurs idées étaient révolutionnaires, les dirigeants étant convaincus de prendre des décisions intelligentes concernant l’économie.


Ces recommandations vont globalement marcher : l’économie va connaître une période de croissance sans précédent qui va grandement améliorer les conditions de vie de la population.


Les crises

Tout ça c’est très bien, mais il y a des accidents de parcours : les crises. De temps en temps, on traverse une période où la production chute et une grande partie de la population se retrouve au chômage. Mais cela ne dure que quelques années tout au plus, et l’économie repart de plus belle, retrouve son niveau de production précédent et le dépasse même largement. Les économistes disent alors : c’est juste un mauvais moment à passer, ne vous inquiétez pas et ça ira mieux demain. La crise est même vue par certains comme utile, pour éliminer les entreprises inefficaces. À l’époque, on se contente de cet état de fait, et on accepte les crises car la tendance de long terme va dans le bon sens.


La crise de 1929

Mais en 1929, une crise sans précédent se produit. Le commerce international est divisé par deux. Le chômage atteint 20% à 30% selon les pays. C’est ce contexte économique qui va dans les années qui suivent favoriser l’arrivée d’Hitler au pouvoir.


C’est alors que l’économiste John Maynard Keynes entre en scène. À ce moment là, la crise est tellement grave que beaucoup d’intellectuels en viennent à penser qu’il faut abandonner le capitalisme et adopter le socialisme comme l’URSS, qui à cette époque séduisait beaucoup d’intellectuels. Mais pour Keynes, l’économie capitaliste est comme une voiture dont toutes les pièces fonctionnent parfaitement sauf le démarreur qui serait cassé. La voiture n’est pas bonne pour la casse, il suffit de changer le démarreur et c’est reparti.


Keynes pense que le problème de l’économie est une demande globale trop faible. En clair, les gens n’achètent pas assez de biens et de services comparé à ce que l’économie est capable de produire. D’après les économistes classiques, la loi de l’offre et de la demande va alors entrer en jeu. Les salaires et les prix vont baisser, et l’économie va revenir vers un nouvel équilibre où les gens vont à nouveau avoir du travail.


Mais ce phénomène est lent à cause de la rigidité des salaires. Les patrons ne peuvent pas annoncer du jour au lendemain “Allez hop, on baisse tous les salaires de 30% !”. En effet, les contrats de travail déjà signés imposent à l’employeur de payer le salaire prévu. On peut donc licencier, mais pas changer les salaires existants. Évidemment les employés vont quand même finir par céder sur le long terme ; la peur de perdre son travail et de rejoindre les millions de chômeurs va encourager les ouvriers à accepter des baisses de salaire, ou un salaire plus bas dans un nouvel emploi. D’après les économistes classiques, ce mécanisme va permettre à la crise de se régler tout seule à long terme. Mais pour Keynes “À long terme nous sommes tous morts !” ce qui signifie que le bien être de la population ne peut pas attendre et qu’il faut agir dès maintenant pour sortir de la crise.


La stratégie de Keynes

Agir ? Oui mais comment ? Keynes propose deux solutions :

  • La politique monétaire : La banque centrale baisse son taux d’intérêt pour permettre aux entrepreneurs d’emprunter de l’argent pour moins cher. Ils sont alors incitées à construire de nouvelles usines, dont la construction va embaucher des nouveaux ouvriers.

  • La politique budgétaire : Le gouvernement augmente ses dépenses pour compenser la demande globale “manquante”, en lançant des grands chantiers (i.e routes, ponts, tunnels…) pour lesquels on va embaucher des ouvriers.

À l’époque de Keynes, les taux d’intérêts sont très bas déjà, et Keynes pense donc que la politique de relance budgétaire est plus adaptée aux circonstances. Dans tous les cas, ce qui compte, c’est “d’amorcer la pompe”. Si les gens retrouvent du travail, ils vont dépenser leur nouveau salaire dans des commerces qui vont eux-mêmes embaucher, etc.


Alors vous allez dire : “Ah, donc les politiques ont écouté Keynes, ça a marché et c’est pour ça qu’il est devenu célèbre ?” Et bien non. En fait, les gouvernements n’ont pas vraiment écouté Keynes. Dans les années qui suivent, l’Allemagne sombre dans le nazisme, puis la guerre commence, et enfin les États-Unis entrent en guerre. Et de fait, l’entrée en guerre des États-Unis joue le rôle d’une relance budgétaire dans leur pays, car une guerre nécessite des dépenses publiques très importantes. On va donc appliquer “sans faire exprès” une politique de relance keynésienne. Et ça va marcher ! L’économie va repartir et les USA vont sortir de la crise. Les partisans de Keynes (qu’on appelle les keynésiens) y voient une validation pratique de leur théorie.


L’inflation des années 70

Dans les années qui suivent, on va appliquer ces techniques pour lutter contre les crises, mais on va aussi en abuser. Et dans les années 70 les choses se gâtent…


Pour les politiques, le keynésianisme c’est génial, on sait qu’on peut réduire le chômage en baissant le taux d’intérêt de la banque centrale. Alors on y va à fond et en route vers 0% de chômage ! Mais bizarrement, le chômage s’obstine à rester bloqué à une seuil minimum indépassable (autour 4% aux États-Unis par exemple).


Et en plus de ça, on a un nouveau problème : une inflation élevée, autour de 10%, dans la plupart des pays développés. L’inflation est une mesure de l’augmentation générale des prix, calculée sur un “panier” d’achats représentatif. Un inflation de 10%, ça signifie que l’argent que vous mettez sur un compte en banque perd 10% de son pouvoir d’achat chaque année. Avec une telle inflation, l’argent sur votre compte perdrait la moitié de sa valeur en 8 ans.


Des économistes dont en particulier Milton Friedman vont accuser la faiblesse du taux d’intérêt de la banque centrale. Son travail et celui d’autres économistes vont mener à la découverte suivante : si on baisse trop le taux d’intérêt, le chômage cesse de baisser mais l’inflation se met à augmenter.


Pourquoi ce phénomène se produit-il ? On peut intuitivement l’expliquer. Dans un marché du travail idéal, où chaque personne peut facilement trouver un travail, il reste quand même un niveau minimum de chômage car certaines personnes sont simplement entre deux emplois par exemple. Si on baisse le taux d’intérêt, les entreprises vont vouloir embaucher plus de travailleurs qu’il n’y en a sur le marché. Les travailleurs ont alors un pouvoir de négociation important et demandent des augmentations de salaire toujours plus grandes. Pour compenser ces salaires à verser plus élevés, les entreprises augmentent leurs prix : c’est l’inflation.


Le problème, c’est qu’une fois l’inflation lancée autour de 10%, c’est un cercle vicieux qui s’auto-entretient. Les entreprises “s’attendent” à une inflation de leurs dépenses de 10%, et augmentent donc leurs propres prix de 10%. De même, les salariés exigent des augmentations annuelles indexées sur l’inflation. Les entreprises qui doivent augmenter leurs salariés sont alors forcées d’augmenter leurs prix, ce qui entretient l’inflation.


Pour les économistes, le seul moyen de s’en sortir c’est de provoquer artificiellement une mini-crise économique en montant massivement le taux d’intérêt. Le chômage va alors monter et les employés vont finir par accepter de renoncer aux clauses d’indexation sur l’inflation et aux augmentations annuelles de 10%. Les entreprises vont s’habituer à une inflation faible et arrêter d’augmenter systématiquement leurs prix.


Cela peut paraître sidérant qu’on ait délibérément déclenché une récession, mais ça a vraiment marché et l’inflation est revenue à niveau normal en dessous de 5%.


Le consensus des économistes

On va retenir de cette histoire que la relance monétaire, c’est bien pour se sortir d’une crise mais qu’il ne faut pas en abuser, et qu’il faut garder un oeil en permanence sur l’inflation. Les banques centrales se voient alors confier la mission de contrôler l’inflation :

  • Si l’inflation est trop haute, la banque centrale augmente le taux d’intérêt.

  • En cas de récession économique, le chômage va monter et l’inflation va baisser. La banque centrale baisse alors son taux d’intérêt, ce qui relance l’économie, fait diminuer le chômage et augmente l’inflation.

L’objectif communément admis et d’avoir une inflation autour de 2%. Pourquoi pas carrément 0% ? Une des raisons est qu’une inflation à petite dose permet aux entreprises d’ajuster progressivement les salaires à la baisse si besoin. Un salarié qui n’a aucune augmentation une année où l’inflation est de 2% a de fait son pouvoir d’achat (ou salaire “réel”) qui diminue de 2%.


Dans les années qui vont suivre, la lutte contre les crises et l’inflation va devenir la responsabilité des banques centrales, c’est à dire qu’on va utiliser exclusivement la politique monétaire (agir sur le taux d’intérêt) et laisser de côté la politique budgétaire (augmenter les dépenses de l’État).


Pourquoi ce dédain pour la relance budgétaire ? Un des problèmes est qu’elle nécessite de se mettre d’accord sur les projets à financer, ce qui est un sujet très politique. Cela nécessite de longs débats et peut mener à des conflits d’intérêts. En plus, cela prend du temps car il faut lancer les chantiers, et l’effet sur le chômage n’est pas immédiat.


On se concentre donc sur la politique monétaire et on confie cette tâche à des banques centrales indépendantes du pouvoir politique, pour éviter que le gouvernement ne soit tenté de donner un coup de “boost” temporaire à l’économie juste avant les élections.


La grande récession de 2008

Cette nouvelle stratégie de gestion des crises va bien marcher jusque dans les années 2000, mais une nouvelle difficulté va alors se présenter. En 2007-2008, c’est la “crise des subprimes” (crise sur les prêts immobiliers aux États-Unis) qui va amorcer une récession très importante appelée “Grande récession”.


Face à cette crise, les banques centrales réagissent en baissant leurs taux d’intérêts. Mais cette fois-ci, la crise est tellement grave qu’elles ont besoin de l’abaisser jusqu’à 0%. Et ça ne suffit pas ! Le chômage continue de monter jusqu’à 10% aux États-Unis et en Europe.


Alors que faire ? Les économistes keynésiens répondent alors : “C’est comme à l’époque de Keynes ! Il faut utiliser la politique budgétaire !” D’après eux, le gouvernement doit dépenser plus pour combler le manque de dépenses du privé. Au passage je vous conseille la vidéo Fight of the Century: Keynes vs. Hayek — Economics Rap Battle Round Two qui présente dans une rap battle les arguments opposés des deux clans de façon plutôt sympa.


Face à cette crise, les États-Unis vont suivre une politique keynésienne, avec le American Recovery and Reinvestment Act of 2009 lancé par Obama qui inclut une politique de relance budgétaire.


En plus de ça, ils vont tenter un nouvel outil appelé Quantitative easing. Le principe est de racheter des actions ou des obligations avec de l’argent créé ex nihilo par la banque centrale. Ce nouvel argent se retrouve dans la poche des investisseurs, dont on espère qu’ils vont l’utiliser pour investir, par exemple en construisant de nouvelles usines dont la construction embauchera les chômeurs. En pratique, l’efficacité du quantitative easing fait encore débat chez les économistes.


Complications en Europe

Ce qui est particulièrement intéressant, c’est que la réaction politique à cette crise a été très différente dans l’Union Européenne et aux États-Unis. Alors qu’aux USA on adopte une politique keynésienne sans ambiguïté au niveau de l’État fédéral, en Europe c’est plus compliqué.


La différence, c’est qu’en Europe, la banque centrale est au niveau de l’UE, alors que les gouvernements susceptibles de s’endetter pour relancer l’économie sont les pays de l’Union Européenne. Le budget fédéral de l’Union Européenne est très faible, et de toute façon elle n’a pas le droit de s’endetter. C’est exactement l’inverse des USA en fait, où les États individuels n’ont pas le droit d’être en déficit et où les politiques de relance sont faites au niveau de l’État fédéral.


En plus de ça, les pays européens font face à une méfiance des investisseurs sur leur dette qui a “automatiquement” augmenté pendant la crise, car les dépenses sociales ont augmenté (assurance chômage) alors que les recettes ont diminué (moins de demande globale = moins de TVA perçue par l’État).


Cela va conduire les gouvernements européens à mettre en place des politiques d’austérité, qui sont l’exact inverse d’une relance budgétaire keynésienne. Concrètement, ils augmentent les impôts et réduisent les dépenses publiques. L’exemple extrême est la Grèce, qui face à une crise sur sa dette, doit appliquer une politique d’austérité radicale.


Le résultat est une rechute en récession pour les pays ayant appliqué l’austérité, alors que les pays ayant appliqué une relance keynésienne sont revenus à une croissance normale. Les économistes keynésiens interprètent ces événements comme une démonstration de la justesse de leurs idées.



Crise du COVID : un retour en force des keynésiens ?

Avec l’arrivée du COVID-19, nous faisons face à une récession encore pire que la Grande récession de 2008.


Face à la baisse de la demande globale, tous les pays développés semblent cette fois ci convaincus par une politique de relance keynésienne à grande échelle. Les taux d’intérêts sont abaissés à 0% comme lors de la dernière crise. Mais cette fois-ci la plupart des pays riches utilisent également une relance budgétaire massive.


Mais en Europe, un autre problème se pose. La plupart des pays veulent pratiquer une relance budgétaire, mais ceux qui sont fortement endettés n’osent pas déployer de grands moyens, de peur de retomber dans une nouvelle crise de la dette. Malheureusement ces pays à risque sont justement ceux qui ont été le plus touchés par la récession, comme l’Italie. C’est alors que l’Union Européenne a pris la décision historique de réaliser pour la première fois des emprunts au niveau fédéral et prépare une politique de relance budgétaire à grande échelle en Europe.


Cette période marque-t-elle une victoire définitive des keynésiens ? Comment éviter que la politique budgétaire ne devienne un moyen de favoriser les entreprises nationales et fausse ainsi la concurrence ? Les taux d’intérêts sur la dette payés par les États vont-ils rester faibles, ou va-t’on assister à une nouvelle crise de la dette ? Les banques centrales vont-elles perdre leur indépendance ? Cette période engendre beaucoup de questions auxquelles l’avenir répondra.


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